Communiqué de presse. Paris, 9 janvier 2018
Condamnée en appel, Christine Boutin s’était pourvue devant la Cour de cassation, qui a annulé sa condamnation, tout en considérant que les propos étaient outrageants. Pour gagner, les associations auraient dû agir sur le fondement de l’injure et non sur celui de l’appel à la haine. Décryptage d’un arrêt alambiqué.
Dans l’interview publiée le 2 avril 2014 dans le magazine Charles, Christine Boutin avait tenu les propos suivants : « Ce n’est pas du tout contradictoire. Charles Consigny vient de rentrer dans la bande à Ruquier et je le félicite. Je n’ai jamais condamné un homosexuel. Jamais. Ce n’est pas possible. L’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné. »
Suite à ces déclarations, le parquet de Paris avait reçu plus de 1000 plaintes pour homophobie. Mais seules celles formulées par les associations Inter-LGBT, Mousse et Le Refuge avaient alors été jugées recevables en raison des conditions restrictives de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Le principal argument en défense de Christine Boutin dans cette affaire consistait à faire la distinction entre « orientation sexuelle » et « comportement sexuel ». Christine Boutin prétendait qu’en disant « l’homosexualité est une abomination », elle critiquait uniquement un comportement et qu’elle ne visait pas les personnes homosexuelles. Or, selon la loi de 1881, il est possible de critiquer librement un comportement. Ce n’est que lorsque les propos visent un groupe de personnes en raison d’une caractéristique précise (la race, l’ethnie, l’orientation sexuelle…) que les propos deviennent condamnables. Les associations LGBT considéraient au contraire que « orientation sexuelle » et « comportement sexuel » étaient indissociablement liés, car la liberté d’être homosexuel dans notre démocratie ne relève pas seulement de la liberté de conscience, mais également de la liberté d’agir.
C’est bien cette seconde solution que la justice française a retenue aujourd’hui. Mais les juges de la Cour de cassation ont considéré que « le propos incriminé, s’il est outrageant, ne contient néanmoins pas, même sous une forme implicite, d’appel ou d’exhortation à la haine ou à la violence à l’égard des personnes homosexuelles. »
Les propos de Christine Boutin étaient bien pénalement répréhensibles sur le fondement de l’injure, car ils étaient « outrageants ». Mais les propos n’étaient pas suffisamment explicites pour constituer un appel à la haine ou à la violence. « En d’autres termes, si les associations LGBT avaient agi sur le fondement de l’injure et non sur le fondement de l’incitation à la haine et à la violence, Christine Boutin aurait été condamnée », considère Me Etienne Deshoulières, avocat de l’association Mousse.
Pour mémoire, le Tribunal correctionnel de Paris avait d’abord condamné Christine Boutin pour incitation à la haine et à la violence en raison de l’orientation sexuelle retenant qu’ « il convient ainsi de considérer qu’en qualifiant, sans nuance ni réserve et de manière délibérée, d’ « abomination » l’homosexualité, terme d’une toute particulière violence – ce que la prévenue a reconnu à l’audience, à la question du tribunal-, exprimant l’horreur, le dégout, la répulsion irrésistiblement suscités par cette orientation sexuelle, Christine Boutin a, en toute conscience, gravement stigmatisé tous ceux qui partagent une telle orientation inhérente à eux-mêmes et qui, par la violence de cette condamnation publique péremptoire, se voient exposés, au seul motif de leur orientation sexuelle, à l’hostilité, au rejet, voire à la haine ou à la violence suscités chez les lecteurs de l’interview. »
La Cour d’appel de Paris avait suivi cette décision, en invoquant des motifs particulièrement sévères contre Christine Boutin : « Le vocabulaire du Lévitique utilisé par Christine Boutin condamne à mort les homosexuels en raison de leur comportement sexuel, qu’utiliser ce vocabulaire renvoie nécessairement à une condamnation d’une extrême violence ne laissant aucune place au pardon, incitant les extrémistes religieux à rejeter les homosexuels et à concevoir à leur encontre un sentiment de haine, qu’en divulgant un tel message de condamnation définitive et d’intolérance de la part d’une personnalité politique influente ex-président du parti chrétien démocrate, sachant qu’elle sera écoutée dans un contexte qui démontre que l’homophobie est encore largement présente en France, ces propos ne peuvent que légitimer des actes homophobes et conforter les responsables de ces violences dans leur position sociale et discursive. »
Mousse regrette que la Cour de cassation n’ait pas suivi ces décisions.