Communiqué de presse – Paris, 12/06/2020
Stop Homophobie, Mousse, Familles-LGBT et Adheos forment aujourd’hui un recours devant le Conseil d’État contre GendNotes, le nouvel outil informatique des gendarmes permettant de ficher les personnes LGBT.
GendNotes, la nouvelle tablette des gendarmes permettant de ficher les personnes LGBT
GendNotes est le nouvel outil informatique des gendarmes qui visent à remplacer l’historique bloc-notes. Afin d’autoriser la collecte de données personnelles sur cet outil, un décret a été publié après avis de la Cnil.
Le décret n°2020-151 du 20 février 2020 autorise ainsi les gendarmes à consigner des informations sur les tablettes GendNotes, et notamment des informations relatives « à la vie sexuelle et à l’orientation sexuelle »[1] de toute personne s’ils considèrent qu’il s’agit d’un « cas de nécessité absolue »[2] pour leur mission. La situation est laissée à la libre appréciation des gendarmes.
Les informations relatives à la vie sexuelle et à l’orientation sexuelle pourront alors être transmises à tous les gendarmes au sein ou hors de l’unité d’origine, ainsi qu’au préfet, sous-préfet et maire territorialement compétents[3].
A ce propos, la Cnil explique, dans un avis du 3 octobre 2019, que les données collectées via GendNotes seront transmises au Logiciel de Rédaction des Procédures de la Gendarmerie Nationale (LRPGN)[4] et, dans un autre avis du 11 octobre 2012, que ce même LRPGN alimente le Traitement d’Antécédents Judiciaires (TAJ) lorsqu’une procédure judiciaire est engagée[5].
Les données collectées via GendNotes, et notamment les données relatives à la vie sexuelle et à l’orientation sexuelle, pourront donc se retrouver dans le TAJ, c’est-à-dire être conservées pendant 20 ans et accessibles par tout agent de la police et la gendarmerie[6].
Cette situation n’est pas conforme à la règlementation françaises et européennes sur les données personnelles, qui interdit en principe la collecte de données sensibles relatives à la vie et l’orientation sexuelle[7] et impose de supprimer dès que possible les données personnelles collectées[8].
Risques liés au fichage des homosexuels
Ce sont d’abord les agents de l’État qui risquent de subir des discriminations sur leur lieu de travail. Une étude de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) mentionne en effet que 85 % des personnes homosexuelles disent avoir ressenti au moins une fois une homophobie implicite sur leur lieu de travail et 40 % affirment en avoir été directement victimes[9].
Les administrés risquent également de subir des discriminations. Selon un rapport de l’Ifop commandé par la Délégation interministérielle à la lutte contre le Racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), 23% des personnes interrogées disent avoir déjà été discriminées par des représentants des forces de l’ordre en raison de leur orientation sexuelle. Un rapport récent de l’Inspection générale des affaires sociales dénonce quant à lui des actes de discrimination homophobes commis par les services d’adoption en Seine-Maritime[10].
Pour Étienne Deshoulières, avocat des associations, « l’histoire de la pénalisation de l’homosexualité est concomitante à celle du fichage des homosexuels. Il est donc essentiel de faire annuler le décret GendNotes, car derrière le spectre du fichage plane celui de la répression et de la discrimination des personnes LGBT ».
Histoire du fichage des homosexuels
Dans les années 1850, un registre des « pédérastes » est constitué par la préfecture de police de Paris. Alors que l’homosexualité n’est susceptible d’aucune condamnation pénale à cette date, les autorités estiment que le milieu homosexuel est « un milieu favorable à la délinquance » et « un bouillon de culture où éclosent les virus criminels ». Ce registre sera conservé par la police jusqu’en 1981 afin d’assurer la surveillance policière des gays et lesbiennes[11].
En Allemagne, durant le « IIIe Reich », environ 16.000 hommes, soupçonnés d’avoir des pratiques homosexuelles, ont été fichés par la police. Ces fichiers seront utilisés par les nazis pour déporter les homosexuels dans les camps de concentration[12].
En France, si la question de la communication du fichier de la préfecture de police aux nazis reste discutée par les historiens, la réalité de la déportation des homosexuels français pendant la Seconde Guerre mondiale est aujourd’hui avérée[13]. Elle n’a été officiellement reconnue par la France qu’en 2001 par Lionel Jospin[14], puis en 2005 par Jacques Chirac[15].
Le registre français des homosexuels a été conservé après la Seconde Guerre. Pendant cette période, les personnes homosexuelles fichées ont été victimes de harcèlement et de discrimination par les forces de police[16]. De 1945 à 1982, près de 10.000 condamnations ont été prononcées pour homosexualité en France, presque toutes à l’encontre d’hommes. Parmi ces condamnations, 93 % étaient des peines de prison[17].
Le 12 juin 1981, conscient des dérives policières provoquées par le fichage des homosexuels, le ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, Gaston Deferre, a adressé une circulaire à la hiérarchie policière afin d’interdire « le fichage des homosexuels, les discriminations, et, à plus forte raison, les suspicions anti-homosexuelles »[18].
Le 8 juillet 1981, le Conseil de l’Europe a adopté un rapport invitant l’OMS à supprimer l’homosexualité de sa classification des maladies mentales. Le 1er octobre 1981, une recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait les États membres « à ordonner la destruction des fichiers spéciaux existants sur les homosexuels, et l’abolition de la pratique de faire ficher les homosexuels par la police ou par toute autre autorité »[19].
Le 22 octobre 1981, l’arrêt Dudgeon de la Cour européenne des droits de l’homme[20] affirme la liberté des comportements homosexuels sur le fondement du droit au respect de la vie privée. Cet arrêt a permis la suppression progressive en Europe de toutes les législations interdisant les relations sexuelles entre personnes de même sexe[21].
Peu de temps après, l’homosexualité est dépénalisée en France par une loi du 27 juillet 1982 sur l’initiative du gouvernement de François Mitterrand.
Contact presse :
Etienne Deshoulières – Avocat au barreau de Paris
Tél. : 0177628203 – www.deshoulieres-avocats.com
[1] Point V de l’annexe du décret n° 2020-151 du 20 février 2020
[2] Article 2 alinéa 2 du décret n° 2020-151 du 20 février 2020
[3] Article 4 du décret n° 2020-151 du 20 février 2020
[4] Pièce n°7
[5] Délibération n°2012-365 du 11 octobre 2012 :
[6] Fiche Cnil, « TAJ : Traitement d’Antécédents Judiciaires », 15 novembre 2018 : https://www.cnil.fr/fr/taj-traitement-dantecedents-judiciaires
[7] Article 6 de la loi informatique et libertés
[8] Article 4 5° de la loi informatique et libertés
[9] Halde, La documentation française, « Homophobie dans l’entreprise », 2008 : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/enquete_lhomophobie_dans_lentreprise.pdf
[10] Contrôle des procédures d’adoption dans le département de Seine Maritime, Dr P. Aballea, F.Amara et C.Branchu, 2018 : http://www.igas.gouv.fr/spip.php?article727
[11] FULIGNI, Bruno (dir.), Dans les secrets de la police. Quatre siècles d’histoires de crimes et défaits divers dans les archives de la Préfecture de police, Paris, L’Iconoclaste, 2008, p. 336.
[12] PRETZEL Andreas et KRUBER Vera, « Jeder 100. Berliner. Statistiken zur Strafverfolgung Homosexueller in Berlin », in Homosexuellenverfolgung in Berlin 1933-1945, Berlin, Verlag rosa Winkel, 2000, pp. 169-87 ; RECTOR Frank, The Nazi Extermination of Homosexuals, New York, Stein & Day, 1981 ; CONSOLI Massimo , Homocaust : il nazismo e la persecuzione degli omosessuali, Raguse, Ed. La Fiaccola, 1984 ; BOISSON Jean , Le Triangle rose. La déportation des homosexuels (1933-1945), Paris, Robert Laffont, 1988.
[13] TAMAGNE Florence, « La déportation des homosexuels durant la Seconde Guerre mondiale », in Revue d’éthique et de théologie morale, 2006/2 (n°239), p. 77-104 : https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2006-2-page-77.htm ; BOISSON Jean, Le Triangle rose. La déportation des homosexuels (1933-1945), Paris, Robert Laffont, 1988 ; LE BITOUX Jean, Les Oubliés de la mémoire, Paris, Hachette Littératures, 2002 ; SCHLAGDENHAUFFEN Régis, La commémoration des victimes homosexuelles du nazisme : Berlin, Paris, Amsterdam, Université de Strasbourg, 2009 : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02388113/document
[14] Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en hommage à Georges Morin, ancien combattant de la Résistance, sur le rôle de l’Office national des anciens combattants (ONAC), sur le soutien du gouvernement aux fondations de la Résistance et pour la mémoire de la déportation, ainsi que sur l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, Paris le 26 avril 2001 : « Il est important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l’Occupation contre certaines minorités les réfugiés espagnols, les Tziganes ou les homosexuels. Nul ne doit rester à l’écart de cette entreprise de mémoire » : https://www.vie-publique.fr/discours/176220-declaration-de-m-lionel-jospin-premier-ministre-en-hommage-georges
[15] Déclaration de Jacques Chirac, président de la république, sur la déportation et le devoir de mémoire, à Paris le 24 avril 2005 : « En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés » : https://www.elysee.fr/jacques-chirac/2005/04/24/declaration-de-m-jacques-chirac-president-de-la-republique-sur-la-deportation-et-le-devoir-de-memoire-a-paris-le-24-avril-2005
[16] JACKSON Julian,Arcadie. La vie homosexuelle en France de l’après-guerre à la dépénalisation, Paris, Autrement, 2009.
[17] BARDOU Florian, « Les condamnés pour homosexualité, une réalité exhumée », Libération 17 juillet 2018 : https://www.liberation.fr/france/2018/07/17/les-condamnes-pour-homosexualite-une-realite-exhumee_1667172 ; BARDOU Florian, « La répression de l’homosexualité en France demeure largement ignorée du grand public », Libération, 18 juillet 2018 : https://www.liberation.fr/france/2018/07/18/la-repression-de-l-homosexualite-en-france-demeure-largement-ignoree-du-grand-public_1667309
[18] BONINCHI Marc, La répression de l’homosexualité, dans : Vichy et l’ordre moral. sous la direction de Boninchi Marc. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Hors collection », 2005, p. 143-193 : https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/vichy-et-l-ordre-moral–9782130553397-page-143.htm et Le ministre de l’intérieur veut faire cesser la discrimination envers les homosexuels, Archives Le Monde, 1981 : https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/06/15/le-ministre-de-l-interieur-veut-faire-cesser-la-discrimination-envers-les-homosexuels_2729051_1819218.html
[19] Recommandation 924 (1981), Discrimination à l’égard des homosexuels :
http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=14958&lang=FR
[20] CEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume-Uni
[21] Marguénaud Jean-Pierre, « Liberté sexuelle et droit de disposer de son corps », in Droits 2009/1 (n°49), Paris, 2009, p. 19-28.